Traces du visible

Alors qu’une politique d’aménagement du territoire relative à la gestion de l’eau est mise en œuvre dans le bocage de l’Avesnois (Nord de la France), l’artiste Benoît Ménéboo arpente simultanément le territoire. Dans les paysages que forment les champs cultivés ou les zones d’exploitation forestière, il réalise une série de clichés photographiques. Son regard s’attarde sur les étapes de ce chantier mobile pensé par les ingénieurs et techniciens au service d’une population élargie. Des tranchées sillonnent la terre agricole ouvrant des perspectives inédites. De façon temporaire, des amas de terre brune, d’argile ocre ou de craie blanche se forment jusqu’à outrepasser la ligne basse de l’horizon. Le ciel chargé de nuages temporise de son ton azur les colorations brunes du sous-sol. Tandis que la végétation abondante déploie des nuances variées de vert, quelques occurrences de rouge révèlent la signalétique éphémère du chantier. Comme autant d’installations in situ, le regard du photographe retient la dimension sculpturale des bâches de travaux qui perturbent momentanément le décor. Si la majorité des images questionnent le paysage, deux d’entre-elles forment un double focus sur des travailleurs qui œuvrent dans les entrailles de la terre.

Bien que ce travail photographique permette de garder trace de ce chantier à ciel ouvert, il s’agit moins ici de donner aux images une fonction documentaire que de laisser à l’artiste le soin de poser un regard subjectif sur ce paysage en mutation. Parmi des milliers de clichés, un choix a été opéré pour aboutir à une série cohérente dans laquelle se glisse une vue prise au Mexique sur les pentes du Volcan Popocatepetl. S’y trouve la même attention aux textures et matières : celles de la roche, de l’écorce, de l’humus, des feuillages. De façon indicible, c’est aussi la question de la présence de l’eau qui est engagée, source vive indispensable à la vie des végétaux, des animaux, des humains. Ce travail artistique s’inscrit dans une démarche globale de va-et-vient entre là et ailleurs, là-bas et ici, France/Mexique, un échange de questionnements sur un bien commun, universel qu’est l’eau, élément essentiel de la vitalité. De fait, le paysage - par les différents changements qui s’opèrent sur le plan topographique, au niveau des éléments végétaux et minéraux, ou encore par quelques signes distinctifs - s’avère le juste vecteur du dépaysement.

En tant qu’artiste, Benoît Ménéboo opte pour des cadrages subtils de manière à laisser les formes - que ce soit par masses ou en détails - occuper la surface du papier. À l’instar des générations d’artistes sortis de l’atelier pour appréhender la nature dans un contact direct, il transcrit une série de sensations liées à la fugacité d’un instant : la succession des saisons trahie par les feuilles jaunies, les ciels changeants d’un climat météorologique spécifique. Dès lors, il revendique - tout en ruptures et continuités - son inscription dans une longue tradition de peintres paysagistes qui s’étend des écoles du Nord de l’Europe Breughel, Ruysdael aux peintres de Barbizon et aux impressionnistes. La sculpture contemporaine est également convoquée ; tant Richard Serra qu’Anish Kapoor. En effet, les objets posés dans l’espace jouent avec l’environnement : des volumes, des lignes de force, des matières, des couleurs qui s’opposent ou se répondent.

Par ce travail « sur le motif », l’artiste oscille entre visible et invisible. De fait, le chantier achevé tout sera comme effacé : les tranchées remblayées par les matériaux, la signalétique enlevée, le bocage rendu aux troupeaux. Resteront alors ces traces saisies par l’œil du photographe.

Nathalie Poisson-Cogez, Docteure en Histoire de l’art